Interview de Francesca Aceto, Présidente du réseau « SNCF au Féminin »
Pouvez-vous nous présenter le réseau SNCF au Féminin ?
Le réseau SNCF au Féminin prend ses racines dans le programme Eve lorsque Virginie Abadie Dalle participe à la première édition en 2010. A son retour, inspirée par le programme, elle rédige une note proposant la création d’un réseau interne. Guillaume Pepy la valide, c’est le début de l’aventure de SNCF au Féminin. Pendant toute l’année 2011 nous sommes une vingtaine de co-fondatrices à réfléchir sur ce que l’on souhaite pour ce réseau, ce que l’on veut y faire et les personnes que l’on espère toucher. Il est lancé en 2012 et se définit comme « un réseau de femmes cadres ouvert aux hommes ». Dès le départ il y a eu une ambition très forte, nous étions déjà 1500 personnes lors de l’événement de lancement au Cirque d’Hiver.
Les objectifs de départ étaient de faire grandir la part des femmes dans l’entreprise à la fois en nombre, mais également en qualité en leur permettant d’atteindre des postes à responsabilité et de passer au-delà du plafond de verre. Le fait de s’organiser en réseau doit permettre d’être plus fortes, d’être solidaires, de comprendre ce qui fonctionne dans l’entreprise et ce qui fonctionne moins, en mettant son expérience personnelle en miroir de toutes les autres.
En permettant à des femmes d’être entendues au sein de l’entreprise, cela enrichit celle-ci de regards complémentaires et précieux sur ses actions.
Enfin nous nous sommes positionné.e.s comme une sorte de think-tank de nouvelles idées en interne, apporteur de solutions concrètes. Par exemple c’est le réseau SNCF au Féminin qui a conduit les premières marches exploratoires pour lutter contre le sentiment d’insécurité des client.e.s dans certaines gares.
Au fur et à mesure des années nous sommes sorti.e.s d’un réseau seulement pour les cadres en nous déployant sur tout le territoire et dans tous les métiers. Nous avons des ambassadeur.rice.s dans les grandes villes de France qui représentent le réseau et l’anime sur leurs territoires. Depuis 2017 le réseau est ouvert à tous les agents de la SNCF, personnels opérationnels, cadres, techniciens.ennes, contrôleur.euse.s, guichetier.ère… C’est un des rares endroits dans l’entreprise où se côtoient tous les types de métiers, tous les niveaux, tous les parcours.
Comment décidez vous sur quels sujets vous allez travailler en tant que Think-Tank ?
Les sujets peuvent aussi bien être amenés en interne du réseau ou en externe avec des propositions des membres du COMEX. Nous avons autant réfléchi sur la nouvelle offre de restauration dans les TGVs, qu’aux possibilités de parcours professionnels entre les différentes filiales du groupe ou encore au développement durable au sein de l’entreprise avec la création d’une plateforme interne de d’échange de matériels professionnels
Nous avons un réel rôle de consultance interne et du fait de la diversité de nos membres, nous avons pu développer une expertise sur de nombreux sujets et aspects.
Lorsque l’on nous propose un sujet, l’idée n’est pas de travailler que pour favoriser les membres du réseau, mais toute l’entreprise. Lorsque nous faisons bouger un mur, on le fait bouger pour tout le monde, les femmes comme les hommes !
Combien de membres avez-vous ?
Nous avons 7000 membres, dont 13 à 14% d’hommes (ils étaient à peine 10% il y a quelques années). Notre cœur de cible est le middle management. Nous souhaitons également nous développer sur le personnel opérationnel, mais du fait des contraintes d’horaires, cela implique de revoir le fonctionnement du réseau, de développer de nouvelles façons de l’animer ou de donner accès à ses ressources. Ainsi nous développons, par exemple, le micro-learning. Il est très dynamique et individualisé ce qui permet à chacun de se former à son rythme.
Quelles actions menez-vous ?
Nous avons des programmes pour développer les talents de chacun.e au travers d’ateliers, de groupes de travails, de moments d’échanges, des conférences. Le sport est également un bon vecteur de cohésion et de changement. Nous participons à des courses comme Odysséa ou le Rallye des gazelles, tout est dans l’esprit de faire ensemble et dans l’entraide. Des coachs se déplacent dans toutes les ambassades pour que l’accès à ces actions soit sur tout le territoire et pas seulement à Paris.
Il y a également un programme de mentoring, avec plus de 300 binômes formés en 6 ans, qui fonctionne très bien et un programme sur le leadership sur deux jours.
Ces actions sont menées en parallèle avec celles portées par les RH, mais tout coexiste normalement et sans problème. La différence ente les ressources humaines et nous c’est que dans le réseau tout doit partir d’une initiative personnelle, il n’y a pas besoin de passer par un manager pour s’inscrire.
Comment êtes-vous financé ?
Le réseau est financé à 100% par l’entreprise. Je construis mon plan d’action en fonction du budget alloué par la SNCF, comme tout le monde nous avons des efforts de productivité à faire, mais j’ai une enveloppe dédiée.
Nous sommes deux personnes à travailler à plein temps avec trois alternant.e.s et quelques personnes détachées au cas par cas pour des missions ponctuelles.
Pour nos ambassadeur.rice.s dans les territoires nous avons proposé la signature d’une charte par les manageurs qui leur laissent 10 % de leur temps de travail pour leurs fonctions. Il y a une vraie reconnaissance des compétences acquises grâce à ce statut (en communication, en management transversal, en ressources humaines…). Les managers savent que les compétences développées en étant ambassadeur.rice ne le seraient pas forcément ailleurs.
Pourquoi avez-vous rejoint le réseau ?
En 2012, lorsque le réseau a été créé, j’avais écrit « pour ma fille ». Je souhaitais montrer l’exemple, montrer qu’ensemble on est plus fortes, pour l’esprit d’entraide.
Y-a-t-il une action accomplie par le SNCF au Féminin dont vous êtes la plus fière ?
Il y en a beaucoup ! Je dirais que l’une de nos réussites les plus symboliques a été d’apporter des vêtements adaptés aux morphologies féminines pour les femmes travaillant dans les métiers techniques. Nous sommes une entreprise industrielle, et jusqu’en 2018 il n’existait pas de vêtements de protection, de haute visibilité en dessous des tailles 40/42. Les femmes concernées n’osaient pas en parler. Le réseau a permis de faire remonter ce problème et d’y trouver une solution dans un climat serein et un dialogue constructif.
Nous avons aussi permis de faire émerger les questions autour du sexisme dans l’entreprise. Aujourd’hui nous en sommes à la troisième édition d’un baromètres dessus dans l’entreprise. Guillaume Pépy nous a également demandé de rédiger un guide sur le sexisme dans l’entreprise. C’est un sujet important et qui permet d’ouvrir des portes sur des sujets plus large comme les discriminations dans l’emploi…
Avez-vous des collaborations, des projets avec d’autres réseaux ou d’autres organisations ?
Nous avons la chance d’être le plus grand réseau de mixité en France car on nous a donné les moyens de le devenir. Nous sommes souvent sollicité.e.s par des patrons pour venir nous présenter, expliquer nos actions et notre fonctionnement.
On travaille également beaucoup avec d’autres réseaux. Avec EDF nous avons lancé un méta-réseau afin de faire bénéficier au plus grand nombre des avancées de nos structures.
Par exemple, en ce moment, nous sommes dans une étude interentreprise : la parentalité dans la gestion de carrière. Au début c’est une étude qui était portée par EDF, mais y penser à plusieurs permet d’objectiver le sujet, de prendre du recul et d’avoir de la matière pour être force de propositions pour des projets de lois. On favorise ces moments d’échanges avec les autres groupes à Paris mais aussi localement.
Nous avons réalisé un film sur SNCF au Féminin et plutôt que d’en faire un film classique corporate, un réalisateur a tourné pendant 8 mois auprès de femmes engagées dans le réseau. Cela a permis de montrer ce que ces femmes avaient eu comme chemins, ce que leur appartenance à SNCF au Féminin avait changé pour elles. C’est un très beau film. Nous n’avions pas saisi la portée universelle de ce documentaire jusqu’à ce qu’on le montre à d’autres réseaux. C’est un documentaire qui donne la parole, qui est doux, qui n’accuse personne. Nous l’avons projeté au sein de nombreuses autres entreprises que la nôtre, il sort des frontières. Après la projection il y a des temps d’échanges qui sont souvent d’une grande qualité.
Quel est l’apport selon vous de ce type de réseaux ?
L’Empowerment. J’aime bien ce mot car il contient la notion de « donner le pouvoir ». Ce type de réseau peut déclencher des prises de conscience, des envies qui n’auraient pas forcément vu le jour sinon. Avec ces réseaux on ne subit pas sa vie professionnelle, on la prend en main, on a moins peur, on ose demander, on ose faire. Et si moi j’y arrive, si moi je le fais, je vais donner envie à d’autres.
On est positionné.e.s pour que l’entreprise continue d’avancer. Je ne dis pas qu’on réussit tout, je sais d’où l’on vient, mais on avance. Cela a aussi décomplexé la DRH qui se permet aussi de demander plus, d’aller plus loin. Néanmoins il faut toujours montrer la valeur produite, à quoi on sert afin que l’on ne puisse pas nous balayer du jour au lendemain.